La RDC et les batteries électriques : ouvrir le débat à l’ensemble des parties prenantes
La stratégie de la RDC pour la domestication en Afrique de la production de batteries électriques se dessine. Depuis plusieurs mois, les autorités congolaises multiplient les appels aux investisseurs : « Ces dernières années, nous avons fourni ces ressources au monde entier sans en tirer profit nous-mêmes. La RDC est disponible et à votre disposition pour une collaboration visant à développer une chaîne d’approvisionnement pour ce dont le monde a besoin », déclarait le ministre congolais de l’Industrie à une rencontre d’investisseurs à Zurich en mai dernier.
Nous avons passé les trois dernières semaines à visiter des communautés concernées par l'exploitation du cobalt dans les provinces du Haut-Katanga et du Lualaba. Lors des ateliers multipartites de partage d’informations que nous avons organisés à Lubumbashi et à Kolwezi, et qui ont réuni gouvernement provincial, élus locaux, société civile, chercheurs et entreprises, les préoccupations que nous avons entendues portent sur l'importance de veiller à ce que la RDC bénéficie mieux que par le passé de l’expansion attendue du cobalt. Beaucoup recommandent de transformer davantage le cobalt dans le pays jusqu’à la production de batteries électriques, de mieux protéger les populations des impacts négatifs en particulier de l’activité artisanale, de générer plus de revenus notamment pour les communautés, et de gérer ces revenus de manière plus responsable. Avec le ministère des Mines de la RDC, nous clôturerons ces échanges au niveau national à Kinshasa les 21 et 22 juin prochains.
Rappelons que d’ici 2050, la production de minéraux tels que le cobalt, le graphite et le lithium pourrait augmenter de près de 500 pour cent, pour déployer et stocker les énergies éolienne, solaire et géothermique afin de relever le défi de l’objectif carbone net-zéro dans le cadre de la lutte contre le réchauffement climatique. Dans le rapport sur le cobalt publié en mars dernier, NRGI recommande aux pays producteurs de cobalt tels que la RDC d’améliorer en urgence la gouvernance dans la chaine d’approvisionnement afin de tirer profit des opportunités offertes par la transition énergétique. La RDC ne dispose pas encore d'un programme structuré en matière de transition énergétique. Toutefois, quatre initiatives donnent des indices de sa stratégie en terme institutionnel, industriel et scientifique.
Premièrement, la création en 2019 de l’Autorité de Régulation et de Contrôle des Minéraux Stratégiques (ARECOMS) et de l’Entreprise Générale de Cobalt (EGC) chargée d’assainir la chaine de valeur artisanale et de racheter la production des mineurs artisanaux. EGC, qui n’a pas encore démarré ses activités, a noué un partenariat avec Trafigura pour créer des conditions de travail décentes pour 17,000 artisans miniers en quatre ans et espère générer $2,8 milliards de chiffre d’affaires, $700M d’impôts et $115M pour un fonds social pour les communautés. La RDC a également mis en place en 2020 l’Agence Congolaise pour la Transition Ecologique et le Développement Durable (ACTEDD) chargée de concevoir, coordonner et mettre en œuvre les politiques publiques relatives à la transition écologique, domaine pour lequel le gouvernement a mis l’accent pour le moment plutôt que sur les potentialités forestières et hydroélectriques.
Deuxièmement, l’organisation en novembre 2021 du DRC - Africa Business Forum dont l’objectif était de réunir des parties prenantes de haut niveau en vue d'identifier les opportunités pour la RDC et l’Afrique et de faciliter les investissements pour augmenter la part de l'Afrique dans la chaîne de valeur des batteries, des véhicules électriques et des énergies renouvelables. L'un des résultats de ce forum est la signature d'un accord de coopération entre la RDC et la Zambie en avril dernier sur le développement d'une chaîne de valeur pour la fabrication de batteries électriques, et qui institue un cadre de gouvernance commun dénommé ‘‘Conseil des Batteries RDC-Zambie’’. La RDC doit coopérer davantage avec les pays d’Afrique australe qui disposent d’ingrédients essentiels : la Zambie bien entendu pour le cuivre et le cobalt, mais aussi l’Afrique du Sud pour le manganèse ; le Zimbabwe pour le lithium, ainsi que le Mozambique, la Tanzanie et Madagascar pour le graphite. À terme, l’Afrique australe pourra produire une grande partie de la chaîne de valeur des véhicules électriques si ces pays harmonisent leurs politiques d'octroi de licences, leur régimes fiscaux et leurs politiques industrielles.
Troisièmement, l’annonce en Conseil des ministres du 15 avril 2022 par le ministre congolais de l'Industrie de la mise en place d’un Conseil Congolais des Batteries, principal organe de gouvernance des ambitions de la RDC sur les batteries et véhicules électriques, et de la DRC Battery Corporation, une joint-venture entre les producteurs des minerais pour assurer l'approvisionnement en matières premières pour les usines pilotes de batteries. Quatrièmement, sur le plan de la recherche, le lancement le 22 avril 2022 du Centre Africain d'Excellence pour les Batteries (CAEB) à l’université de Lubumbashi. Ce centre vise le développement d'une chaîne de valeur compétitive pour les batteries, les voitures électriques et les énergies renouvelables en Afrique.
Par la voix du premier Ministre, le gouvernement de la RDC a fait la promotion de ces initiatives et de ses ambitions à Indaba en mai dernier. Il reste que les performances de la RDC en matière de gouvernance du secteur minier certes progressent mais demeurent faibles d’après l'Indice de gouvernance des ressources naturelles 2021. Le pays doit réaliser des progrès substantiels depuis l’attribution des licences jusqu’à la gestion des revenus et des impacts environnementaux et sociaux, en passant par la lutte contre la corruption. Une coordination intersectorielle est aussi nécessaire pour harmoniser les initiatives éparses des ministères et services spécialisés ayant un lien avec la transition énergétique. Il reste seulement 28 ans à la planète pour atteindre l’objectif carbone net zéro en tirant profit des opportunités qui émergent de la transition vers des énergies propres. Si la RDC devait demeurer un endroit trop risqué pour investir, les acteurs mondiaux trouveraient le moyen de s’affranchir du cobalt et de ses produits dérivés, comme on l’observe déjà et comme cela a été le cas pour plusieurs minéraux critiques par le passé.
Ainsi, avec 70% de la production mondiale de cobalt, la RDC est aujourd’hui face à son destin de mener le jeu mondial de la transition énergétique, tout en répondant à ses besoins urgents de développement. Il est alors essentiel que le gouvernement de la RDC suscite une adhésion large à ses ambitions légitimes en adoptant une approche inclusive qui associe l’ensemble des parties prenantes au débat public et qui garantit une compréhension partagée des opportunités et défis. C’est dans cet esprit qu‘avec le Ministère des Mines, l’Agence Congolaise de la Transition Ecologique et du Développement Durable (ACTEDD), l’Initiative pour la Transparence dans les Industries Extractives (ITIE- RDC) et The Southern Africa Resource Watch (SARW), nous organisons le forum multipartite des 21 et 22 juin 2022 à Kinshasa. L’objectif sera de mettre les parties prenantes au même niveau d’information sur les ambitions du gouvernement en matière d’amélioration de la gouvernance minière et de transformation locale, ainsi que faire le point sur les initiatives en cours et définir les prochaines étapes pour que la RDC tire parti des opportunités notamment en matière d’augmentation des revenus de l’Etat, des communautés et des mineurs artisanaux et de contenu local.
Plus sur le Forum national les 21 et 22 juin 2022 à Kinshasa ici.
Descartes Mponge Malasi est Chargé de programmes senior pour la RDC chez Natural Resource Governance Institute (NRGI). Roger Vutsoro est Manager de pays pour la République démocratique du Congo à NRGI. Hervé Lado est Manager régional pour l’Afrique de l’Ouest et Centrale à NRGI.
Crédit photos :
Première image : Hervé Lado/NRGI
Deuxième image : u3d/Shutterstock