Nouveau JETP du Sénégal : 4 prochaines étapes cruciales
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Enfin ! Après plusieurs mois de négociations et de déclarations politiques, un accord pour la signature d’un partenariat pour une transition énergétique juste (JETP) potentiellement transformatrice entre le Sénégal et la France, l'Allemagne, le Royaume-Uni, le Canada, et l'Union européenne a été annoncé hier lors du Sommet pour un nouveau pacte mondial de financement. D’une valeur de 2,5 milliards d’euros, le Sénégal utilisera cet argent pour accélérer le déploiement des énergies renouvelables pour atteindre un objectif de 40% du mix électrique en termes de capacités installées, d’ici 2030.
Contrairement aux JETP déjà convenus avec l’Afrique du Sud, de l’Indonésie et le Vietnam – qui dépendent principalement du charbon pour leur approvisionnement énergétique et font partie des plus polluants parmi les pays à revenu intermédiaire – le Sénégal est un nouveau producteur de gaz avec une empreinte carbone relativement faible et d’importants besoins énergétiques non satisfaits. Bien qu'il y ait relativement peu de JETP annoncés, celui-ci se démarque des trois précédents, notamment en termes de portée, de taille et d’ambition.
Quelques caractéristiques de ce nouveau JETP
Financer la croissance des énergies renouvelables est un défi majeur pour des pays comme le Sénégal qui cherchent à concilier les objectifs en matière de climat, d'accès à l'énergie et de développement. L’accent mis par le JETP sur la promotion du rôle des énergies renouvelables au Sénégal est très appréciable. Alors que le pays est sur le point de devenir un important producteur de gaz, le gouvernement s’est concentré sur l’augmentation significative de la conversion du gaz en électricité pour répondre aux besoins énergétiques. Cela a risqué de négliger le potentiel important des énergies renouvelables, au détriment de ces objectifs énergétiques. En effet, avant cette annonce, aucune capacité supplémentaire d’énergie renouvelable n’était prévue au-delà de 2025, selon les informations accessibles au public. Le gouvernement et les partenaires internationaux devraient donc être félicités pour avoir veillé à ce que les avantages apportés par les énergies renouvelables ne soient pas oubliés et soient plutôt poursuivis.
Néanmoins, le rôle du gaz est un éléphant dans le magasin de porcelaine qui reçoit une référence de la taille d'une souris dans la déclaration politique (sous la forme d'une reconnaissance en tant que "carburant de transition" - une concession au gouvernement sénégalais dont les déclarations initiales du JETP, il y a un an, étaient directement liées aux ambitions d'obtenir un financement pour ses projets gaziers).
Le président français Emmanuel Macron s'est lui-même montré plus catégorique sur le rôle du gaz dans l'accord, lorsqu'il a déclaré dans une interview ce matin: « … pour le cas du Sénégal, on va lui permettre au Sénégal de développer ses projets gaziers … parce que le gaz est une énergie de transition et on sait que la planète en aura encore besoin… ».
Les négociations du JETP se déroulent non seulement dans le contexte du démarrage imminent de la production de gaz au Sénégal et des ambitions importantes de production de gaz en électricité, mais aussi de l’intérêt européen pour l’approvisionnement en gaz sénégalais afin de contrer les risques pour la sécurité énergétique suite à l’invasion de la Russie en Ukraine. Une communication claire sur l’interaction entre la poussée du JETP en matière d’énergies renouvelables et la question du gaz sénégalais, y compris s’il est utilisé dans le pays ou exporté, est donc nécessaire.
Pour le Sénégalais moyen, la taille et le prix de la "tarte" énergétique globale comptent plus que la taille de la seule tranche des énergies renouvelables.
En fin de compte, le succès du JETP devrait être mesuré au moins en partie sur la base des ambitions énergétiques globales du Sénégal, et pas seulement sur le pourcentage de la capacité installée qui provient des énergies renouvelables. Pour le Sénégalais moyen, la taille et le prix de la "tarte" énergétique globale comptent plus que la taille de la seule tranche des énergies renouvelables.
Afin de bien démarrer le processus de mise en œuvre du JETP, il est important de :
1. Garder à l'esprit que cette déclaration politique n’est qu’une première étape, elle ouvre la voie à une série de négociations complexes : Si le JETP sud-africain annoncé en 2021 est une indication, il y a encore beaucoup de négociations et d’incertitudes avant que les fonds ne commencent à couler ([aucun n'a coulé jusqu'à présent en Afrique du Sud]). Cela concerne notamment le rythme et la composition du soutien de 2,5 milliards d’euros mentionné dans l'annonce récente (par exemple, la part des subventions et des prêts concessionnels, et leurs niveaux de confessionnalité entre autres). Aussi, bien que tout ce montant ne sera pas sous forme d'emprunt, il sera important de s'assurer de la viabilité de la dette.
2. Avoir une préférence pour le présent dans l’allocation des fonds : Compte tenu de l’incertitude internationale, de la dynamique changeante de la géopolitique de la transition énergétique, il est préférable d’avoir les fonds à débloquer par ce JETP le plus rapidement possible, bien sûr dans les limites de la capacité d’absorption. En Afrique du Sud, sur un montant de 8,5 milliards de dollars annoncé, aucun n’a été effectivement versé puisque le plan d’investissement vient tout juste d’être finalisé.
3. Aligner le plan d’investissement sur les réformes nationales du secteur de l’énergie qui maximisent l’effet des dépenses publiques et induisent des flux de capitaux privés : En effet, en plus de contribuer à réduire le coût élevé du capital pour le financement des projets d'énergie renouvelable, les investissements devraient soutenir les réformes nationales qui facilitent la croissance rapide des énergies renouvelables, les projets non rentables dans lesquels les investisseurs à la recherche de profit n’investiront pas, et soutenir les mesures qui atténuent les risques réels et perçus de l’investissement dans les énergies renouvelables.
4. Avoir plus de transparence et un processus de consultation plus inclusif. Au fur et à mesure que le processus JETP du Sénégal progresse (y compris autour du plan d'investissement et du processus associé autour de la stratégie de développement à long terme à faible émission de carbone), il est essentiel qu'il y ait de la transparence et un processus de consultation inclusif qui implique la société civile sénégalaise, le secteur privé et toutes les parties prenantes clés. Une approche participative et centrée sur la population des discussions sur la transition énergétique et le JETP a fait défaut jusqu'à présent au Sénégal et il est préoccupant que la déclaration politique ne fasse pas vraiment référence au rôle de la population sénégalaise dans les prochaines étapes du processus du JETP. Nous encourageons le gouvernement sénégalais à en faire une priorité afin d'assurer une mise en œuvre réussie du JETP.
Ce JETP offre une occasion unique de transformer le système énergétique actuel du Sénégal – en améliorant l’accès à une énergie bon marché, propre et sûre. Son succès est important pour le Sénégal, mais aussi pour le monde entier, car pourra servir de modèle de mécanisme de transition énergétique juste à répliquer dans plusieurs pays producteurs gaziers.
Photo du haut de la page par Serigne Saliou Mbacke for NRGI
Authors
Papa Daouda Diene
Africa Economic Analyst
Thomas Scurfield
Africa Senior Economic Analyst