Trois défis à relever pour renforcer la transparence de la propriété effective dans le secteur extractif guinéen
La république de Guinée, reconnu pour son potentiel minier important, se classe comme une référence mondiale et attire de plus en plus d’investisseurs étrangers. Selon le rapport de l’Initiative pour la transparence dans les industries extractives (ITIE), elle détient près de 40 milliards de tonnes des réserves mondiales de bauxite et les plus grands gisements inexploités de fer au monde, soit près de 20 milliards de tonnes, un grand potentiel qui peut contribuer à stimuler la croissance économique et la transition énergétique. Cependant, le pays reste confronté à des défis majeurs en termes de bonne gouvernance.
Arrivées au pouvoir le 5 septembre 2021, les autorités militaires ont déclaré que la lutte contre la corruption sera l’une de leurs principales priorités. Bien qu’il n’existe à ce jour aucune étude diagnostic sur les pratiques de corruption, en particulier dans le secteur extractif guinéen, le secteur extractif constitue un nid potentiel de toutes sortes de pratiques corrompues, tels que l’évasion fiscale, les conflits d’intérêt, le blanchiment des capitaux et les flux financiers illicites. Ces pratiques sont favorisées par le fait que le public ne connait pas les personnes physiques qui possèdent et contrôlent en dernier ressort les entreprises qui opèrent dans le pays.
Le secteur extractif constitue un nid potentiel de toutes sortes de pratiques corrompues, tels que l’évasion fiscale, les conflits d’intérêt, le blanchiment des capitaux et les flux financiers illicites.
D'après le rapport d’évaluation publié en 2022 par le Secrétariat international de l’ITIE qui coordonne l'évaluation périodique à laquelle sont soumises l’ensemble des pays mettant en œuvre l’ITIE, processus permettant de mesurer les progrès accomplis par rapport aux exigences de la norme, il est conclu que la Guinée a accompli des progrès en ce qui concerne le respect de l’Exigence 2.5 de la propriété effective. Cependant, il n'existe pas encore de fondement juridique établi pour la collecte et la divulgation des informations relatives à la propriété effective.
En analysant la situation, nous avons identifié trois préoccupations majeures qui doivent être résolues par les parties prenantes afin de renforcer la transparence de la propriété effective. Cette analyse s’aligne sur l’un des objectifs de Natural Resource Governance Institute (NRGI) en Guinée, qui consiste à renforcer les mécanismes de transparence et de redevabilité ainsi que l’utilisation des données résultant des processus de transparence.
1. Publier régulièrement les informations couvrant toutes les entreprises minières et leurs sous-traitants indépendamment des rapports ITIE, et sans tenir compte du seuil de matérialité
En Guinée, les données relatives à la propriété effective sont collectées dans le cadre du processus de l’ITIE et sont désormais accessibles au public depuis 2018 par le biais du rapport ITIE couvrant l’exercice de 2016. Le rapport ITIE assoupli 2019-2020 indique que sur l'ensemble des sociétés minières retenues dans le périmètre de déclaration, 44 pour cent ont fourni des informations complètes, 24 pour cent ont fourni des informations incomplètes et 32 pour cent n'ont fourni aucune information. Bien que cette divulgation soit un début encourageant, le rapport ITIE est actuellement la seule source d'information disponible, et ne permet pas d'avoir des informations actualisées concernant les nouvelles entreprises qui ont fait des demandes d'octroi de licences. De plus, seules les entités comprises dans le périmètre de rapprochement sont tenues de divulguer les informations sur leurs propriétaires effectifs, ce qui ne concerne que 28 sociétés minières contre 818 qui sont simplement retenues pour une déclaration unilatérale. La déclaration unilatérale fait référence à la décision de se fier à la seule déclaration des régies financières de l'État en ce qui concerne les paiements effectués par les sociétés minières, les sous-traitants et comptoirs d'achat d'or et diamant dont les paiements sont en dessous du seuil de matérialité de 5 milliards GNF. En revanche, on parle de rapprochement pour désigner le processus de comparaison des montants déclarés par les entreprises extractives et le gouvernement dont le total des paiements est supérieur au seuil de matérialité indiqué. Bien que le Groupe multipartite (GMP) ait des raisons pour justifier les critères de matérialité retenus, cela peut sembler incompréhensible pour un citoyen lambda qu'un montant inférieur à 5 milliards ne fasse pas l'objet d'un rapprochement pour éventuellement mettre en lumière les écarts significatifs qui peuvent résulter soit d'erreurs de comptabilisation ou de communication, soit de cas de détournement de fonds. Le secrétariat exécutif de l’ITIE-Guinée qui est chargé d’assister le comité de pilotage devrait pouvoir définir au cours de l’étude de cadre un périmètre plus exhaustif pour permettre d'accéder à des données plus pertinentes pour l'opinion publique. Car, à l’évidence c’est au niveau des sociétés retenues pour déclaration unilatérale que se dessine les enjeux. Les personnes politiquement exposées se sentent sans doute plus à l’aise de se permettre d’acquérir des actions en contrepartie de leur facilitation dû à leur fonction dans les sociétés qui sont exclus du champ de rapportage ITIE et donc de l’obligation de divulgation.
2. Renforcer l'avant-projet de loi sur la propriété effective et le faire adopter
En 2019, l’élaboration d’un avant-projet de loi sur la propriété effective a témoigné de la volonté manifeste des parties prenantes à aller vers une plus grande transparence dans la gouvernance du secteur minier en Guinée. Le projet de loi reste en attente d’être adopté, de même, la dernière réunion du GMP portant sur ce sujet date de juin 2021, au cours de laquelle le document a été examiné. Cependant, bien que le document comprenne de nombreux aspects positifs, il présente aujourd’hui plusieurs limites qui pourraient compromettre son efficacité à garantir une divulgation pleine et entière de la propriété effective en Guinée. Le collège des organisations de la société civile au sein du GMP de l'ITIE et NRGI ont réalisé une analyse approfondie, qui met en évidence la nécessité d'effectuer des ajustements par le groupe multipartite (GMP) avant l'adoption finale du projet de loi. Les changements suggérés incluent principalement, la restriction du champ d'application de la loi au secteur extractif (élargi aux sous-traitants), la réduction du seuil de divulgation, l’amélioration de l’accessibilité des données, le renforcement des dispositions sur les conflits d'intérêts et les personnes politiquement exposées, la mise en place d’un régime de sanctions et amendes plus strict ainsi que la réorganisation de quelques articles. Elle inclut également la question du registre des bénéficiaires effectifs, suggérant une simplification de la gestion, afin de permettre au ministère des Mines et de la Géologie, qui est le ministère de tutelle, de mieux gérer les informations relatives à la propriété effective des entreprises extractives opérant en Guinée. Quoiqu’il en soit il s’agira également, bien entendu, d’accélérer l’adoption finale d’un tel texte renforcé (intégrant autant que possible les principes d’Open Ownership) pour que celui-ci puisse entrer en vigueur rapidement avec l'appui et la coordination du comité de pilotage de l'ITIE-Guinée.
3. Susciter d’avantage l'intérêt des acteurs de la société civile à faire preuve de plus d'exigence et à utiliser les données divulguées
La contribution de la société civile au renforcement de la transparence et de la bonne gouvernance du secteur minier n’est plus à démontrer. Grâce à diverses actions telles que le suivi de la mise en œuvre du processus ITIE, la vulgarisation des rapports ITIE dans les communautés impactées, l’implication des jeunes dans le débat public, l'ONG Action Mines et d'autres acteurs ont réussi à rendre le débat sur la gestion des revenus issus du secteur extractif moins sensible.
Il est crucial de mettre l'accent sur l'utilisation des données mises à disposition pour renforcer la redevabilité des acteurs publics et privés du secteur actif, et informer de nouveaux plaidoyers.
Certes, ces acquis sont considérables, mais le pari est encore loin d’être gagné. Pour les sauvegarder, il est crucial de mettre l'accent sur l'utilisation des données mises à disposition pour renforcer la redevabilité des acteurs publics et privés du secteur actif, et informer de nouveaux plaidoyers. Car, la divulgation des données en soit ne suffit pas à produire le changement escompté ; il est donc important d'utiliser ces données de manière pertinente et efficace. Cela implique que les acteurs de la société civile s'investissent davantage pour chercher à évaluer la qualité des informations divulguées, puis comprendre comment ces données peuvent être utilisées pour améliorer la transparence, la bonne gouvernance, et renforcer la lutte contre la corruption.
Photo par Igor Grochev/Shutterstock
Authors
Mohamed Cisse
Guinea Program Associate