Faut-il revoir la fiscalité pétrolière tunisienne ?
Les dernières élections présidentielles et législatives ont montré que le peuple Tunisien avait soif de changement. Notamment en ce qui concerne la gouvernance du secteur des hydrocarbures, largement débattue par les candidats. Une partie de la classe politique renouvelée considère que le cadre juridique actuel régissant le pétrole et le gaz n’est pas dans l’intérêt national et appelle à de profondes réformes, jusqu’à la nationalisation complète du secteur pour certains.
Cette problématique continuera à alimenter les débats au sein du nouveau parlement. Les propositions de réforme différeront selon les positions idéologiques et les programmes électoraux. Cependant, les positions convergent sur un seul constat : le secteur est en crise, et le prochain gouvernement devra introduire des réformes importantes pour dépasser cette situation. En effet, les hydrocarbures représentent près de 90% de la consommation énergétique tunisienne. Alors que cette consommation ne cesse de croitre, les investissements dans le secteur n’ont pas permis de maintenir le niveau de réserves et de production d’hydrocarbures. Quant au potentiel de développement des énergies renouvelables en Tunisie, il reste encore largement inexploité.
Un nouveau rapport de l’institut de gouvernance des ressources naturelles (NRGI) met en lumière les défis relatifs à l’investissement dans le secteur pétrolier en Tunisie. Le rapport représente une évaluation objective et pédagogique de la fiscalité pétrolière tunisienne, faisant abstraction des institutions en charge de la gouvernance du secteur.
Le pays souffre d’une image d’instabilité auprès des investisseurs, et ne dispose pas du potentiel géologique de ses voisins libyens et algériens. Néanmoins, le nouveau paysage politique, combiné à une reprise sélective de l’investissement mondial dans les hydrocarbures offre une opportunité de reprise. Avec la révision annoncée du code des hydrocarbures, le moment pourrait être idéal pour s’assurer que la fiscalité pétrolière réponde aux objectifs de politique énergétique de l’Etat tunisien.
Le rapport de NRGI détaille les forces et faiblesses de la fiscalité tunisienne actuellement en vigueur, en particulier dans les contrats de partage de production. Il s’appuie sur une analyse quantitative de la fiscalité tunisienne et de 8 autres juridictions. Les principaux constats sont les suivants :
- La fiscalité pétrolière telle que définie dans le code des hydrocarbures est peu attractive au regard de la situation géologique de la Tunisie. Le graphique 1 illustre ce point, sur la base du « taux effectif moyen d’imposition », impact de l’ensemble du régime fiscal sur la durée de vie d’un projet pétrolier, un indicateur de compétitivité fiscale couramment utilisé dans le secteur.
- Les contrats de partage de production ne sont pas uniformisés, et contiennent des termes fiscaux qui diffèrent pour chaque projet. Ceux qui sont compétitifs ne sont pas suffisamment progressifs pour tenir compte des aléas du secteur.
Taux Effectif Moyen d'Imposition, sous hypothèses centrales de prix, de couts de projet et de taux d’actualisation
Si les autorités tunisiennes souhaitent relancer l’exploration et la production d’hydrocarbures, pour répondre rapidement au déficit énergétique croissant, le rapport suggère les recommandations suivantes :
- Harmoniser la fiscalité applicable aux nouveaux projets pétroliers, pour mettre les investisseurs sur un pied d’égalité et faciliter le suivi des projets par les instances de contrôle.
- Revoir les termes des nouveaux contrats de partage de production pour les rendre plus progressifs. Par exemple, le contrat type pourrait inclure un plafond plus élevé pour le recouvrement des dépenses de l’entrepreneur, et adopter un mécanisme de partage de la production basé sur la profitabilité (facteur R) plutôt que sur la quantité de pétrole produite.
- Limiter les révisions fiscales aux nouveaux projets, ou aux sociétés désireuses d’adopter les nouvelles dispositions, pour éviter les disputes et arbitrages.
- Au-delà des reformes de la fiscalité, des reformes de plus long terme seront également nécessaires pour stabiliser le cadre règlementaire et institutionnel, clarifier le rôle de l’Assemblée Nationale dans le contrôle du secteur et améliorer le système d’attribution des titres pétroliers, afin de rendre le secteur pétrolier tunisien plus attractif.
NRGI souhaite en faire un point de départ vers un débat constructif sur la révision du code des hydrocarbures, et reste à disposition des autorités pour toute question ou appui sur la réforme de la fiscalité pétrolière.
Carole Nakhle est la directrice fondatrice de Crystol Energy et membre du conseil d’administration de NRGI. Thomas Lassourd est analyste économique senior chez NRGI. Wissem Heni est responsable pays de NRGI en Tunisie.