Image placeholder

Gestion des revenus pétroliers et gaziers au Sénégal : trois propositions pour améliorer le projet de loi

Avec deux importants projets pétroliers et gaziers—Sangomar et Grand Tortue Ahmeyim (GTA)—en cours de développement pour une mise en production en 2023 et un troisième (Yakaar Teranga) proche d’une décision finale d’investissement, le Sénégal continue à étoffer son arsenal juridique et institutionnel pour garantir une bonne gouvernance du secteur pétrolier et gazier. Les décisions prises en ce moment seront décisives pour que les citoyens sénégalais puissent bénéficier significativement de l’exploitation du pétrole et du gaz. Le 29 décembre 2021, le Conseil des Ministres du Sénégal a adopté le projet de loi relatif à la répartition et à l’encadrement de la gestion des recettes issues de l’exploitation du pétrole et du gaz.


Le projet de loi définit les modalités de gestion et de répartition des recettes issues de l’exploitation des hydrocarbures entre le budget national, un Fonds de stabilisation, et un Fonds intergénérationnel. Alors que l’Assemblée nationale se prépare à débattre de ce texte et que des textes d’application viendront ensuite préciser certaines dispositions, les parlementaires devraient envisager ces trois moyens de renforcer la loi sur la gestion des revenus d’hydrocarbures. Certains de ces points font écho à notre note d’analyse sur la gestion des revenus pétroliers et gaziers au Sénégal publiée le 14 décembre 2021.
 
1. Renforcer les mécanismes de transparence et de redevabilité dans la loi
 
Les systèmes de gestion des revenus sont plus efficaces et crédibles lorsqu’ils sont conçus de manière à permettre une surveillance étroite, qui peut protéger ces revenus des défis que représentent les fortes attentes des populations, les conflits d’intérêts et la corruption. Le projet de loi a le mérite d’intégrer plusieurs bonnes pratiques en matière de transparence dans la gestion des revenus d’hydrocarbures, et fait bien référence aux Principes de Santiago. Les constats ci-dessous traitent des mécanismes de transparence et redevabilité à ne pas perdre de vue :

  • Le projet de loi précise le rôle du ministre des Finances et du Budget dans le dispositif de suivi et de contrôle des recettes, destinataire des rapports d’activité trimestriels et annuels, des plans et programmes de travail, et des programmes de gestion des risques élaborés par les gestionnaires des Fonds. La proposition devrait toutefois exiger la divulgation publique de ces documents, car cela pourrait significativement renforcer la redevabilité en impliquant d’autres acteurs comme la société civile et les médias dans le suivi et le contrôle des recettes. Aussi, bien que la proposition spécifie de manière précise que l’Assemblée nationale est destinataire du rapport d’activité annuel, il n’est pas clair si ce rapport sera rendu public. Le projet de loi devrait exiger la publication des documents cités plus haut, en précisant le délai et la périodicité de cette divulgation.
  • Les informations contenues dans les rapports trimestriels et annuels devraient être encadrés par la règlementation. Par exemple, les rapports devraient pouvoir inclure les soldes des fonds, les rendements par classe d'actifs ou par actif, ainsi que les frais de gestion versés au Fonds souverain d'investissements stratégiques (FONSIS) et aux gestionnaires externes.
  • Le cadre règlementaire devrait aussi enjoindre le gouvernement de publier la liste des projets actifs, mais aussi la valeur totale des projets qui ont reçu des fonds pétroliers, leur date de début et d'achèvement prévue, et les détails relatifs aux entrepreneurs et leurs stades de mise en œuvre.
  • Le projet de loi devrait exiger des gestionnaires de fonds l’élaboration et la divulgation de codes de conduite pour contribuer à la protection contre les conflits d’intérêt, les risques excessifs, les frais trop élevés, entre autres. Le code de conduite du fonds norvégien en est un bon exemple.
  • Les deux comités d’experts et d’investissement mis en place jouent un rôle très important dans l’architecture de gestion des revenus pétroliers, en assurant respectivement l’intégrité des prix de référence et l’allocation stratégique des actifs pétroliers. Le cadre juridique devrait prévoir des mécanismes pour évaluer et questionner les travaux de ces comités, et assurer que leurs membres du comité pour les prix de référence soient indépendants du gouvernement.
  • La loi n’aborde pas la politique de distribution des dividendes de PETROSEN qui est d’une importance capitale, et dont le manque de clarté expose le cadre des recettes à certains risques (Cf. notre note d’analyse, p.37.)
  • La loi devrait ajouter la mise en place d’un organe de surveillance indépendant similaire au PIAC au Ghana, qui serait un comité multipartite de suivi et de redevabilité des revenus qui implique les gestionnaires des fonds et des représentants d’institutions publiques, de partis politiques, de la société civile et d’organisations professionnelles du secteur.
2. Clarifier la gouvernance des investissements des fonds souverains
 
Bien que les stratégies d'investissement des fonds souverains contiennent en général des règles détaillées sur la politique de gestion d'actifs—telles que l'allocation d'actifs cible, les benchmarks, les listes de classes d'actifs éligibles et interdites et les exigences de diversification—le gouvernement pourrait envisager une approche plus forte en légiférant ces mesures, comme au Ghana, en Ouganda et au Timor-Leste et en Guyane.
 
Le projet de loi renvoie à un décret ultérieur les modalités de fonctionnement du comité d’investissement. Dans la mesure où ce comité jouera un rôle crucial dans le mécanisme de gestion des revenus, Il est important d’encadrer dans la loi au moins ses missions, et veiller à ce que son effectif, le mode de désignation des membres, les profils attendus, la durée et le renouvellement de leur mandat soient clairement spécifiés dans les textes d’application. Il est également important que les membres de ce comité soient soumis à l’obligation de divulgation de leurs patrimoines et intérêts, que plusieurs membres soient indépendants des parties prenantes du secteur dont l’Etat, et que les doctrines d’investissements des deux fonds soient publiées.
 
Aussi, le projet de loi ne précise pas si les investissements du fonds intergénérationnel doivent ou peuvent se faire dans le pays ou à l’étranger. Les revenus d'hydrocarbures peuvent être investis au niveau national, mais il est préférable que cela passe par le processus budgétaire et non à travers les fonds souverains. Bien que l’investissement domestique des recettes d’hydrocarbures ait d’importants avantages dans un contexte où les besoins en investissement sont élevés et où les populations exhortent le gouvernement à dépenser localement, cela exposerait le Sénégal à plusieurs risques comme observe dans des contextes comparables. Bien entendu, les fonds souverains peuvent être des investisseurs de dernier ressort en cas de crise comme c’est actuellement le cas avec la pandémie de COVID-19 dans plusieurs pays. La loi devrait alors interdire aux fonds souverains d'investir dans des actifs nationaux sauf approbation expresse de l’Assemblée nationale.
 
3. Donner la possibilité dans la loi d’adopter une règle de dépenses
 
Les autorités sénégalaises ont opté dans le projet de loi pour le respect d’un certain solde budgétaire hors ressources d’hydrocarbures pour chaque période de trois années. La cible sera établie dans le document de programmation budgétaire et économique pluriannuelle pour chaque période. Le choix d’une telle règle peut être justifié par le besoin de plus de flexibilité de la politique budgétaire sénégalaise dans un contexte où le pays ne dispose pas du levier monétaire qui est communautaire. Cette règle permet aussi de contribuer à assurer la viabilité de la dette dans le temps et éventuellement soutenir l’équité intergénérationnelle. Toutefois, cette situation risque d’accorder une trop grande flexibilité au gouvernement qui peut excessivement creuser son déficit fiscal, surtout que la cible du solde budgétaire peut être établie sans l’approbation de l’Assemblée nationale.
 
La loi devrait offrir au moins la possibilité d’avoir une règle de dépenses publiques qui peut aussi bien être alternative que complémentaire à celui du solde budgétaire hors hydrocarbures pour mieux faire face à la volatilité des dépenses publiques. Lorsqu’elle est formulée de manière simple et contracyclique, elle est généralement respectée, facile à mettre en œuvre, tient compte de la capacité d’absorption économique du pays, et est efficace pour atténuer les pressions politiques. Le cas des règles de dépenses publiques appliquées au Pérou, au Paraguay et en Grenade sont de bons exemples qui pourraient être expérimentés au Sénégal.
 
Compte tenu de l’importance que ces choix auront sur les Sénégalais aujourd’hui et demain, les parlementaires, les acteurs de la société civile, les responsables gouvernementaux et les autres parties prenantes doivent rester mobilisés pour la bonne définition du cadre légal et institutionnel, ainsi que sa bonne mise en œuvre. La dynamique générale observée au Sénégal en faveur de la transparence et de la redevabilité ne peut que profiter au propriétaire ultime des ressources pétrolières et gazières qu’est le peuple sénégalais.
 
 
Papa Daouda Diene est Analyste Economique pour l’Afrique chez NRGI. Hervé Lado est Manager régional pour l’Afrique de l’Ouest et Centrale chez NRGI. Elimane Kane est le Président du think-tank sénégalais LEGS-Africa.

Image de 
Nowaczyk/Shutterstock