Entreprises minières et communautés en Guinée : le cas des préfectures de Fria et Boffa
Dans la gouvernance des ressources extractives, les exigences de transparence et de redevabilité portent sur toute la chaine de valeur des ressources, notamment à l’échelon local où les populations sont le plus touchées par la pauvreté. Dans les communautés minières en Guinée, comme dans nombre de pays producteurs, les acteurs locaux ont une connaissance très sommaire des risques et opportunités liés à l’activité minière. Dans de telles conditions, suivre les obligations et engagements des parties prenantes est un véritable défi, et les besoins d’accompagnement sont immenses.
Deux ateliers organisés dans les préfectures de Fria et Boffa du 19 au 24 novembre 2018 par l’ONG RENASCEDD, avec l’appui de NRGI, ont permis à la soixantaine de leaders des communautés et sociétés civiles locales de se familiariser, pour la première fois pour la plupart, avec le code et les contrats miniers. Le programme comprenait une introduction au rôle des parties prenantes à l’activité minière (Etat/communes, entreprises, communautés, société civile), des travaux pratiques sur les différentes catégories d’obligations légales ou contractuelles - financières, sociales, environnementales, etc., en les distinguant des engagements volontaires des entreprises, et une initiation aux approches pacifiques de plaidoyer. Au regard du suivi des obligations, Fria et Boffa sont deux cas de figure différents.
Fria, à 160 km de Conakry, fleuron de l’industrie minière guinéenne dès l’origine en 1958, fut la fierté du pays, jusqu’à son dramatique déclin à partir de 2012 du fait de la fermeture de l’usine Friguia acquise en 2006 par Rusal. La ville avait vécu au rythme des subsides et investissements de l’entreprise, sollicitant et accueillant ces appuis comme une manifestation de sa mansuétude. C’est pendant les six années d’inactivité minière que les populations ont réalisé qu’il était indispensable de créer d’autres chaines de valeur économiques. En plus de la mobilisation du gouvernement, des ONG comme ARSYF ont émergé : « Nous avons monté des projets, trouvé de nouveaux partenaires comme PROJEG ou Vivo Energy, formé à l’entrepreneuriat, et lancé nous-mêmes des activités agricoles et d’élevage », déclare Kabiné Barry, un des promoteurs d’ARSYF et participant à l’atelier. Alors que Rusal relance l’usine, Fria veut développer des relations plus responsables avec l’activité minière. Toutefois, l’entreprise semble privilégier une communication minimale avec les communautés. Par ailleurs, les autorités ont voulu faciliter la reprise, notamment en fusionnant l’ensemble des impôts locaux dans l’annexe de 2017 au contrat minier signée pour quinze ans. Le montant forfaitaire payé par Rusal pour 2017 a été réparti entre la Préfecture et les communes (une urbaine et trois rurales) selon une formule ad hoc sur la base de laquelle les communes ont reçu 36%. Dans un contexte où le Comité Préfectoral de Développement, organe multipartite de concertation incluant les ONG, n’est pas fonctionnel, le suivi des obligations est un réel défi pour la société civile. Comme l’a avoué à la clôture de l’atelier Bernadette Loua, responsable d’une association de femmes à Fria, « Je n’en savais strictement rien…Désormais, je sais où trouver le code et les contrats miniers, et ce que nous pouvons demander aux autorités et aux entreprises ».
Boffa, également à 160 km de Conakry, est en revanche un tout nouveau producteur de bauxite, avec quatre entreprises qui s’implantent dans cinq des sept communes rurales de la Préfecture : Bel Air Mining à Doupourou et Tougnifily et qui produit depuis 2018, Chalco qui construit son site d’exploitation à Tamita, SPIC (ex-CPI) qui prospecte à Doupourou et Coliah, et Eurasian Resources qui envisage un exutoire portuaire entre Tamita et Liso. Ici, les communautés apparaissent, comme souvent au démarrage, bien disposées à l’égard des entreprises, mais elles sont démunies face à la complexité des enjeux et confuses dans leurs attentes, ce qui les pousse de plus en plus à utiliser l’arme des barricades. Pourtant, l’unique producteur actuel, soumis aux normes de la SFI, semble désireux de se montrer à la hauteur des enjeux communautaires. Comme l’expliquait Lamine Diallo, leader communautaire à Tougnifily, lors de l’atelier de Boffa : « Nous n’avons rien contre les entreprises minières, au contraire nous les accueillons à bras ouvert. Notre problème, c’est les autorités. Boffa se soulève rarement, et chaque fois c’est quand nos autorités administratives ne veulent pas répondre à nos interrogations ». Dans ce contexte, le suivi des obligations exigera de construire la confiance par un accompagnement des communautés afin qu’elles parviennent à établissent des canaux de concertation et de plaidoyer pacifiques avec les autorités et les entreprises.
Partout dans le monde, les pratiques de divulgation des paiements locaux des entreprises extractives vis-à-vis des communautés se développent et aident à entretenir la confiance entre les acteurs. A Fria et Boffa comme ailleurs en Guinée, l’augmentation à venir des transferts locaux de revenus miniers sans une réponse massive à ces besoins d’éducation populaire, de rééquilibrage des pouvoirs entre les acteurs, et de transparence de l’échelon national au local, pourrait s’avérer une occasion manquée de voir l’exploitation minière durablement améliorer les conditions de vie des populations.
Hervé Lado est responsable pays pour Natural Resource Governance Institute en Guinée.