Interview: La gouvernance en RDC, avec Jean Pierre Okenda
Jean Pierre Okenda, coordonnateur adjoint de la Plateforme des Organisations de la Société Civile dans le Secteur Minier (aussi connue sous le nom de la POM) en République Démocratique du Congo, a participé à un atelier ITIE en février 2014. Nous avons saisi cette occasion pour lui poser quelques questions relatives aux défis et opportunités de gouvernance rencontrés dans son pays riche en ressources naturelles.
RWI: Vous êtes originaires de la province du Katanga. Quelles sont les leçons de gouvernance des ressources naturelles à tirer de l’histoire de la province du Katanga? Cette province peut-elle aider la RDC à se développer dans son entier?
Jean Pierre Okenda
Jean Pierre Okenda: Les leçons de gouvernance que l’on peut tirer de l'histoire de la province du Katanga, voire de la RDC toute entière est que l'exploitation des ressources naturelles sans des politiques publiques bien planifiées n’engendre pas le développement économique et social des zones d’extraction. En effet, en dépit de l'attrait des capitaux privés et la relance de la production minière (estimée à environ 1 million de tonnes de cuivre en 2013) et l'embellie des cours due à la forte demande des matières premières, le développement économique demeure chimérique.
La minorité de l’élite politique et les sociétés étrangères ont toujours tendance à accumuler les richesses au détriment du reste de la majorité de la population.
Traditionnellement, le secteur minier a toujours été considéré comme la locomotive de l’économie en raison de ses effets sur les autres secteurs. Et, à ce jour, l’essentiel de l’exploitation se trouve au Katanga. De ce fait, la province du Katanga peut effectivement aider la RDC à se développer. Mais cela n’est possible que si la gouvernance du secteur minier est améliorée de sorte que celui-ci apporte une contribution significative à l’économie, d’une part, et si les pouvoirs publics gèrent rationnellement les revenus issus de ce secteur, d’autre part.
Quels efforts ont-été faits dans le secteur extractif depuis la suspension de la RDC du processus ITIE?
Avant d’évoquer les efforts entrepris par la RDC, il sied de rappeler que l’une des failles principales des rapports ITIE-RDC a été que la RDC n’a pas bien défini le périmètre, menant à des omissions au niveau des compagnies et au niveau des flux inclus dans le périmètre, notamment des recettes perçues au niveau provincial, des revenus de vente d’actifs, de loyers d’amodiation, affectant de ce fait l’exhaustivité du périmètre d’entreprises invitées et de flux des revenus déclarés.
Pour combler cette lacune, le groupe multipartite de la RDC a recruté un expert de renommée internationale afin de parvenir à une définition exhaustive du périmètre d'entreprises et de flux des revenus à inclure dans le rapport 2011. N'étant pas satisfait des conclusions de l'expert, le groupe multipartite à mis sur pied une commission technique plus élargie constituée des experts issus de parties prenantes avec pour mandat de consolider le cadrage du rapport 2011.
Cette approche a conduit à une définition exhaustive du périmètre du secteur des mines au point que 83 compagnies et 30 flux retenus ont couvert 99,6% des totaux des revenus perçus par l'état et ses entités en 2011. Dans le secteur pétrolier en revanche, le groupe multipartite a décidé d’inclure dans le rapport toutes les entreprises du secteur et tous les paiements versés par les entreprises et flux perçus par le gouvernement.
Pour obtenir les déclarations des entreprises étrangères non établies en RDC, y compris celles basées dans des paradis fiscaux mais qui ont effectué des paiements à l’état ou ses entités/entreprises paraétatiques, le groupe multipartite a exigé des filiales basées en RDC de se porter garantes afin de garantir l’exhaustivité des déclarations.
En ce qui concerne l’entreprise Sicomines née de l’accord de coopération sino-congolais, pour la première fois dans l’histoire de l’ITIE, le groupe multipartite a confectionné des formulaires spécifiques en vue de capter les flux financiers et les flux des revenus décaissés pour le développement des infrastructures.
Dans le même sens, le gouvernement a résolu la question de la certification des données de toutes les agences gouvernementales participant dans l’ITIE. Il est de même de la fiabilité des données pour laquelle la quasi-totalité des entreprises ont apporté des preuves de certification de leurs données, tandis que les quatre entreprises restantes sont en train de se conformer à cette exigence. Du point de vue de la mise en œuvre du processus lui-même, les évaluations périodiques organisées par les parties prenantes d’une part, la société civile, de l’autre, ont considérablement permis au groupe multipartite de prendre des options les plus représentatives. Il est à signaler un débat très enrichissant qui en découle à chaque étape du processus, lequel, illustre parfaitement l’engagement des parties prenantes audit processus.
Ces progrès et bien d’autres non mentionnés, illustrent parfaitement les efforts déployés par le pays dans la mise en œuvre du processus même si d’autres défis demeurent.
Quels sont les défis que la société civile rencontre en RDC pour promouvoir la transparence et améliorer la gouvernance du secteur minier?
La société civile rencontre plusieurs défis pour la promotion de la transparence et l’amélioration de la gouvernance dans le secteur minier. Je vais cependant évoquer trois défis majeurs.
Le premier se rapporte à l’indisponibilité des informations exhaustives sur le secteur, notamment les engagements contractuels des parties impliquées dans l’extraction des minerais (gouvernement et sociétés étrangères). La divulgation partielle des contrats signés entre les entreprises paraétatiques et les sociétés étrangères rend les informations financières inaccessibles, et entrave de ce fait le travail de suivi que la société civile fait aussi bien dans la mise en œuvre de l’ITIE que dans le cadre de la redevabilité.
Pour rappel, la plupart de ces contrats prévoient le versement de flux des revenus parafiscaux au profit des entreprises paraétatiques. Si les termes contractuels incluant ces paiements ne sont pas divulgués, il devient difficile pour la société civile d’exercer le contrôle citoyen; par exemple assurer que les paiements déclarés dans l’ITIE sont exhaustifs et que toutes les ont déclarés.
L’absence des informations sur l’allocation des revenus extractifs rentre dans cette catégorie des défis. En effet, le fait que le budget de la RDC ne dissocie pas les revenus extractifs des autres revenus de l’Etat prive la société civile des informations pourtant cruciales pour effectuer le suivi systématique de la manière dont les revenus déclarés dans les rapports ITIE sont alloués. En conséquence, l’exercice du débat public sur la gestion des revenus extractifs reste très limité et ne garantit pas une pleine redevabilité dans la chaine de gestion des revenus.
Le deuxième ordre des défis se rapporte aux faibles capacités de la société civile d’exploiter les informations déjà accessibles pour renforcer la responsabilité dans la gestion des ressources naturelles et des revenus générés. Comme on peut le constater, la disponibilité de l’information en elle-même ne suffit pas; il faudra en plus la comprendre et l’analyser. Or très souvent l’information liée au secteur est par essence technique et réduit la possibilité pour les acteurs de la société civile de l’exploiter à bon escient afin d’accroitre la redevabilité; c’est ce qui semble le cas en RDC. En effet, en dépit de la publication de centaine de contrats miniers, la société civile n’arrive pas à exploiter systématiquement les informations divulguées afin d’accroitre la redevabilité et améliorer la gouvernance des ressources.
Le troisième défi concerne le faible engagement des partenaires au développement, y compris le gouvernement de la RDC à soutenir techniquement et financièrement les organisations de la société civile qui sont engagées dans le monitoring du secteur. Très peu d’ONG internationales et/ou de partenaires au développement appuient la société civile engagée pour l’amélioration de la gouvernance minière. Lorsque l’appui est fourni, celui-ci est souvent limité et ne garantit pas un travail continu. Or vu le potentiel minier et les défis qu’impliquent l’amélioration de la gouvernance, une forte implication d’une société civile disposant des ressources techniques et financières est indispensable pour assurer le monitoring, par conséquent, garantir le développement équilibré du secteur.
En ce qui concerne le gouvernement, il convient de mentionner les divers obstacles, notamment légaux qui handicapent le travail de la société civile. Considérant que le rôle de gérer relève de ses compétences régaliennes, le gouvernement ne perçoit pas toujours positivement le travail des organisations.
Selon vous, que peut changer une plus grande production de pétrole en RDC ?
Une grande production du pétrole constitue sans doute une source potentielle d’accroissement des revenus de l’Etat. L’expérience renseigne que les pays producteurs de pétrole tirent davantage de revenus que les pays miniers. Toutefois, comme pour le secteur des mines, la RDC devrait créer de bonnes conditions afin de tirer le maximum des profits que peut engendrer une grande production de pétrole. Il s’agit une meilleure planification préalable et stratégique sur le partage des revenus entre les investisseurs, l’Etat, les entités locales et les communautés. Il faudra en plus lever des options stratégiques sur ce que l’on veut faire avec les revenus générés par le secteur. L’une des questions fondamentales est de déterminer la fonction que doit jouer la production pétrolière et les revenus escomptés dans l’économie nationale. Or vu ce que ce qui passe dans le secteur des mines, il y a de quoi nuancer l’optimisme.
Quels sont les effets d’une mauvaise gouvernance du secteur minier au niveau des communautés? Les communautés sont-elles consciente du rôle que la mauvaise gouvernance du secteur peut jouer dans leur vie?
La RDC est un cas typique des effets induits de la mauvaise gouvernance des ressources naturelles sur les communautés locales. La production minière de la RDC, estimée à environ 1 million de tonnes de cuivre cathode en 2013, a atteint un record sans précédent dans l’histoire du pays. Parallèlement à ce record, l’absence de développement économique et social autour des zones d’extraction est criante. Non seulement le record de la production va concurremment avec le record des impacts négatifs sur l’environnement immédiat, l’extension des activités minières engendre les expropriations des terres, la source principale des revenus de la quasi-totalité des communautés, entrainant de ce fait la perte des revenus et de logement pour les victimes.
Heureusement pour les entreprises étrangères, et probablement pour l’élite politique, et malheureusement pour les communautés, l’interprétation abusive du principe, « le sol et le sous-sol appartiennent à l’Etat » semble renforcer la perception selon laquelle les communautés n’ont aucun rôle à jouer dans la gestion des ressources naturelle; au point que la plupart des communautés ne semblent aucunement être conscientes du rôle que la mauvaise gouvernance peut jouer dans leur cadre de vie.
C’est d’ailleurs toute la pertinence des approches et des politiques centrées la sensibilisation des communautés et de renforcement de capacités des organisations communautaires afin de promouvoir la participation effective des communautés dans la gestion des ressources naturelles.