Les enjeux et défis de la gouvernance du contenu local au Mali : Entretien avec un acteur de la société civile malienne
Les citoyens dans beaucoup de pays riches en ressources naturelles espèrent que l’exploitation de ces ressources génère des retombées plus directes et croissantes. De nombreux gouvernements cherchent à répondre à ces attentes à travers la promotion du contenu local, qui permettrait d’accroitre la valeur ajoutée de l’exploitation de ces ressources.
Cette problématique était l’un des sujets qui a cristallisé l’attention d’une cinquantaine de participants de douze pays d’Afrique francophone lors de la 10e session de l’Université sur la gouvernance des industries extractives en Afrique Francophone. Cette édition s’était tenue en ligne en deux phases, du 20 septembre au 01 octobre et du 25 octobre au 05 Novembre 2021.
Qu'est-ce que le contenu local ?
Le contenu local peut être défini de manière générale comme la valeur qu’un projet d’extraction apporte à l’économie locale, nationale ou régionale, au-delà des revenus des ressources.
Voulant assurer que le contenu local tienne une place importante dans le développement de son secteur extractif, le Mali, pays riche en ressources minières, a réuni plus d’une centaine de participants de vingt pays lors de la 9ème édition des journées minières et pétrolières du Mali en novembre 2021 pour des échanges autour de ce thème et du rôle de l’Etat.
M. Nouhoum Diakité, coordonnateur de la coalition Publiez Ce Que Vous Payez (PCQVP)-Mali, a pris part à cet évènement en qualité de panéliste. Ensemble, nous avons discuté de ce qu’il a retenu de la rencontre, des principaux enjeux et défis de la gouvernance du contenu local dans son pays et de ce que l’université d’été 2021 peut apporter à son travail et aux perspectives pour son organisation.
Pourquoi le contenu local est-il un sujet important au Mali ?
M. Nouhoum Diakité - Le Code minier du Mali adopté en 1991, qui a été révisé trois fois (en 1999, 2012 et 2019), a pour but de tirer le maximum de profit des activités minières, tant en termes de bénéfices économiques que sociaux, pour impulser le développent au niveau national et améliorer les conditions de vies des Maliens. Cependant, vingt ans d’exploitation minière n’ont toujours pas donné lieu à des retombées notables au niveau national et pour les communautés riveraines des projets miniers. Les efforts du gouvernement malien pour faire progresser le contenu local ont été motivés par ce constat.
De plus, le gouvernement malien s’est rendu compte que le montant investi dans l’achat des biens et services par les sociétés minières internationales est de loin supérieur au revenu que le secteur génère annuellement pour le Mali, avec près de 80% de achats se faisant hors du territoire malien. D’après les données présentées dans les rapports ITIE 2017 et 2018, les achats globaux des biens et services effectués par cinq sociétés minières en termes d’approvisionnement s’élevaient à environ 444 milliards de FCFA pour 2017 et 576 milliards pour 2018, des sommes supérieures aux revenus annuels générés par le secteur minier, soit 290 milliards de FCFA en 2017 et de 316 milliards en 2018.
A cet effet, le gouvernement envisage de mettre sur pied une véritable politique du contenu local avec un accent sur la promotion et l’accompagnement des petites et moyennes entreprises (PME) afin qu’elles captent un pourcentage considérable des opportunités offertes par l’approvisionnement local et l’emploi lié à l’activité minière. Ceci permettrait à toutes les couches de la société de bénéficier des retombées de l’exploitation minière.
En parallèle, les attentes des communautés vis-à-vis du contenu local sont nombreuses, dont le besoin d’information pour une meilleure compréhension du contenu local et des opportunités économiques et sociales qu’il peut engendrer, l’accès aux formations et à l’emploi, et l’accompagnement des PME.
Quels sont les défis liés à la mise en œuvre de la politique du contenu local au Mali ?
Le défi principal dans la mise en œuvre de la politique du contenu local est la lenteur du gouvernement à rendre opérationnel les dispositions qui y sont liées. Le gouvernement gagnerait à signer des décrets ou des arrêtés additifs indispensables à l’accélération de l’implémentation de cette politique. C’est en novembre 2020 que le décret d’application de la dernière version révisée du Code minier de septembre 2019 a été signé, avec l’adoption de dispositions spécifiques en lien avec le contenu local, dont la formation et l’emploi du personnel, l’approvisionnement national et la sous-traitance.
Mais, à ce stade, les dispositions prévues pour chacun de ces points tardent à être concrétisées, la plus importante de toutes étant la création d’un cadre de concertation multipartite sur le contenu local. Cette instance permettrait de faciliter l’opérationnalisation des dispositions du Code minier en veillant entre autres au développement et au suivi de la croissance de la fourniture et de l’emploi local au profit du secteur minier.
Quelles sont vos recommandations clés et pourquoi ?
S’agissant de la promotion de l’approvisionnement national, nous (PCQVP-Mali) avons formulé une série de recommandations à l’Etat malien lors des Journées minières et pétrolières de 2021. Elles vont dans le sens d’actionner le cadre de concertation pour le développement et le suivi de la croissance de la fourniture et de l’emploi prévu dans le cadre du Code minier de 2019. Pour ce faire, il faudrait élaborer des indicateurs d’impact du contenu local et définir des sanctions adéquates.
L’autre suggestion faite aux autorités maliennes concerne l’accompagnement des PME et PMI (petites et moyennes industries) maliennes en termes de financements, de formation et d’identification des besoins des compagnies de manière à mieux rentabiliser les opportunités existantes. La création d’une plateforme digitale jouant le rôle de point de centralisation des appels d’offres publics et privés accessible aux fournisseurs serait un autre outil bénéfique dans le partage d’informations.
Quelles sont les recommandations clés de ces journées et quelles pourraient-être les perspectives pour la société civile malienne ?
Il y en eu plusieurs. Les Journées minières et pétrolières du Mali ont été marquées par des échanges fructueux entre les participants. Ces derniers, au terme de leur réflexion, suggèrent des pistes à explorer pouvant utilement améliorer le contenu local. Pour les entreprises nationales opérant en qualité de fournisseurs et de prestataires de services, elles ont besoin d’un accompagnement pour créer plus de valeur ajoutée. Des incitations à leur endroit leur permettrait par ailleurs de saisir les opportunités qu’offrent les sociétés minières. Les participants recommandent également de mettre œuvre le cadre tripartite (Etat-sociétés minières-collectivités locales) énoncé dans le Code minier, tout comme le Fonds d’appui au développement du contenu local.
La société civile malienne joue un rôle clé dans le suivi de l’application de ces recommandations. Elle doit à ce titre pouvoir interpeller l’Etat sur son devoir et sa responsabilité à mettre en œuvre les dispositions liées au contenu local prévues dans le Code minier de 2019 et son décret d’application ; travailler à renforcer ses capacités sur la notion du contenu local et ses enjeux ; sensibiliser les compagnies minières sur le contenu local afin de les emmener à contribuer au développement au niveau local ; sensibiliser et éduquer les communautés riveraines sur la notion de contenu local afin de prévenir des conflits intra-communautaires autour de l’emploi des locaux par les compagnies minières.
Comment les connaissances que vous avez acquises au cours de votre participation à l’université d’été du CEGIEAF 2021, en particulier les échanges lors du module sur le contenu local, vous seront-elles utiles pour développer des actions futures visant promouvoir la bonne gouvernance du contenu local dans votre pays ? Pouvez-vous partager quelques-unes des actions que vous comptez mener dans ce sens ?
J’ai pris part à plusieurs programmes de renforcement de capacités mais je considère l’université d’été du CEGIEAF 2021 comme exceptionnelle, surtout au regard de la richesse de son contenu et de la qualité des formateurs, même si j’aurais souhaité que cette formation se fasse en présentiel. J’ai particulièrement apprécié le module sur le contenu local qui tombait au bon moment pour moi, surtout que je venais d’apprendre que j’allais faire une présentation lors des Journées minières et pétrolières - Mali sur cette thématique. Les connaissances glanées m’ont été très utiles dans la préparation de mon exposé adapté au contexte malien. Cette présentation a par ailleurs été très applaudie par les participants.
En tant qu’alumni de cette formation et acteur au sein de PCQVP-Mali, je compte mener une série d’action sur le court terme. Tout d’abord, j’envisage de mener un plaidoyer afin que l’Etat adopte les textes nécessaires pour rendre effectives les dispositions novatrices du Code minier et son décret d’application sur le contenu local. Je contribuerai également au renforcement des capacités des acteurs de la société civile sur les enjeux du contenu local et son impact sur la chaîne des valeurs des industries extractives au Mali.
Mes actions porteront également sur l’information et la sensibilisation des communautés riveraines des sites miniers du Mali sur le contenu local et la promotion d’une politique d’exploitation minière apaisée. Echanger avec les acteurs clés sur la mise en œuvre effective de la politique du contenu local, dont l’Etat, le secteur privé, la société civile et les industries extractives, pour trouver une démarche concertée qui permettra de rendre opérationnel le Code minier de 2019 et son décret d’application figure aussi dans mon agenda.
Lucain Nyassi Tchakounte est associé du programme régional pour l'Afrique francophone a NRGI.
Image par: Carsten ten Brink, disponible sous une licence Creative Commons
Authors
Lucain Nyassi Tchakounte
Capacity Development Officer