Ministre des Mines - Guinée : Comment nous avons relevé le défi de la publication des contrats miniers
A travers le monde, de plus en plus de pays s’engagent dans la divulgation des contrats qu’ils signent avec des entreprises pour exploiter leurs ressources naturelles. Depuis 2011, la République de Guinée s’est démarquée en menant ce mouvement en Afrique francophone. Pour partager cette expérience pionnière de la Guinée dans la transparence sur les contrats miniers, j’ai échangé avec M. Abdoulaye Magassouba, ministre des mines et de la géologie.
Qu’est qui a motivé la Guinée à publier les contrats miniers ?
Dès l’élection du Président Alpha Condé en 2010, il a mis les réformes dans le secteur minier au cœur de ses priorités. Compte tenu de nos richesses en ressources minérales et du faible niveau de développement du pays, en particulier du secteur des mines, il y avait nécessité à faire des reformes pour attirer plus d’investissements et ainsi pouvoir utiliser le secteur comme levier de transformation de l’économie nationale. Et parmi les réformes, la transparence a été mise en priorité. Pas seulement pour faire bonne figure ! Surtout pour donner confiance à toutes les parties prenantes, qu’il s’agisse des populations ou des investisseurs, et rassurer toutes ces parties prenantes que les négociations sont faites sur une base équitable. Bien sûr, en tenant compte des conditions, je dirai, objectives particulières des projets, et des conditions objectives particulières sur le marché international au moment de chacune des négociations, mais montrer que l’Etat faisait les meilleurs efforts nécessaires pour que tous les investisseurs soient traités sur la même base.
M. Abdoulaye Magassouba, ministre des mines et de la géologie. Photo prise par Nfaly Sylla et provenant de Wikimedia Commons.
Avez-vous rencontré des défis et difficultés dans la mise en œuvre de cette volonté de divulguer les contrats miniers, et comment les avez-vous traités ?
Dans ce processus, il y a eu, bien sûr, des défis à relever. L’un des principaux défis c’était de faire en sorte que tous ceux qui étaient en charge de mettre en œuvre cette volonté politique du Président de la République soient sur le pont, engagés à le faire au quotidien. Cela part du niveau décisionnel jusqu’au niveau technique le plus bas. Donc mettre la notion de transparence, la publication des contrats miniers, dans les habitudes quotidiennes des cadres de l’administration. Cela a été un défi que nous avons pu relever au fil du temps. Le deuxième défi était au niveau technique, parce que nous n’avions jamais réalisé cette procédure, donc nous avions besoin d’une assistance technique pour nous accompagner. C’est pour cela que nous avons fait appel à NRGI pour nous soutenir et assurer que le processus de publication devienne permanent, pas simplement par à-coups. Donc en plus de l’appui à la mise en place du dispositif, il y a eu un accompagnement en termes de formation des cadres et même jusqu’aujourd’hui, nous consultons encore NRGI dans le cadre de la pérennisation, je dirai, du perfectionnement du mécanisme de publication des conventions minières. Un troisième défi a été, et cela peut paraitre surprenant, la résistance de certains investisseurs, parce que dans beaucoup de pays il y a des clauses de confidentialité. Donc il a fallu, ce qui peut être paradoxal, que le gouvernement sensibilise les investisseurs. De toutes façons, ils n’avaient pas le choix car la publication des contrats avait été portée dans la nouvelle Loi minière de 2011 révisée en 2013. Mais il fallait quand même faire un travail de sensibilisation, même au niveau des investisseurs, pour qu’ils comprennent que dans cette transparence, dans cette publication des conventions minières, il y a un gain pour toutes les parties sur le long terme. Vous savez, je pense qu’ils avaient simplement peur de l’inconnu, de quelque chose d’inhabituel. Beaucoup sont cotés en bourse et sont habitués à la divulgation d’informations, mais ça ne s’était jamais fait en Guinée. Et il y avait quelques craintes : comment les gens vont lire et interpréter nos conventions ? Beaucoup d’inconnus qui ont pu peut-être les amener à manifester des réserves, mais ce n’était pas une résistance de fond parce qu’en réalité, l’agenda de la transparence c’est difficile pour un investisseur coté en bourse d’agir contre.
Comment évaluez-vous aujourd’hui l’impact de la pratique de publication des contrats miniers ?
Comme je le disais, notre engagement pour la transparence ne répondait pas simplement à l’objectif de bien paraitre. Au-delà de la transparence elle-même, l’objectif est d’en faire un outil de développement du secteur minier. La publication des contrats miniers s’inscrit dans ce cadre. Comment avons-nous pu en tirer profit ? La première chose c’est que la publication des contrats miniers a permis entre autres de créer plus de confiance vis-à-vis de la communauté des investisseurs, vis-à-vis des communautés locales, vis-à-vis de l’administration et de tous les acteurs intéressés par le secteur. Cette confiance des investisseurs nous a permis au fil des années d’être regardés différemment et d’attirer plus d’investisseurs, d’avoir plus de confiance au niveau des communautés, dans leurs interactions avec les entreprises minières. Mais aussi tous les acteurs ont fourni plus d’efforts pour s’impliquer dans le développement du secteur en ayant la conviction que les accords sont équilibrés, parce que c’est cela que ça démontre fondamentalement. Dans les négociations aussi, il y a toujours, comment dire…une comparaison, que les investisseurs font. Souvent nous utilisons le fait que les conventions sont disponibles, et nous remarquons d’ailleurs que la plupart des investisseurs viennent aux négociations avec la convention d’un projet comparable… et ça établit au moins une base saine, une certaine confiance dans le processus de négociation. Les gens n’ont pas l’impression que nous leur cachons des choses, que ce que nous disons tombe du ciel, ils savent qu’il y a des références très claires, et qu’il y a une base robuste pour les positions que nous prenons. Je dirai aussi que ça a même contribué à améliorer la qualité des conventions que nous signons avec les investisseurs.
Quelles réflexions vous inspire l’expérience de la Guinée en matière de transparence des contrats ?
Qu’il s’agisse de la publication des conventions minières ou, d’une manière générale, de l’agenda de transparence qui a été porté par le président Alpha Condé et ses gouvernements successifs jusqu’à présent, tout cela a contribué à ce nouveau dynamisme observé dans le secteur minier guinéen malgré les défis que nous avons encore. Nous comptons renforcer cela. Notre crédo c’est que nous devons aller au-delà des questions de conformité, pas seulement publier pour publier, non ! Qu’est-ce que nous pouvons faire pour, d’abord rendre l’approche irréversible, et puis utiliser tout cet agenda de transparence pour assurer le développement à court, moyen et long terme du secteur, au profit de tous les acteurs.
Cet entretien a été édité et compressé pour plus de clarté et de concision.
Hervé Lado est responsable pays pour Natural Resource Governance Institute (NRGI) en Guinée.