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Les divulgations en cours jettent les bases d’une transparence sur les prêts adossés aux ressources naturelles

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Au cours du boom des matières premières sur les vingt dernières années, de nombreux gouvernements et entreprises publiques des pays en développement ont signé d’importants accords de « prêts adossés à des ressources naturelles » (en anglais resource-backed loans, ou RBL). Grâce à ces prêts, les gouvernements ont accès à des financements en échange de futurs flux de revenus issus de leurs richesses naturelles telles que le pétrole ou les produits miniers, ou d’une garantie s’appuyant sur ces ressources. L’étude 2020 de NRGI sur les RBL, qui explore l’expérience des emprunteurs de RBL en Afrique subsaharienne et en Amérique latine entre 2004 et 2018, a révélé que le montant des prêts RBL octroyés par des entités chinoises s’élevait à 152 milliards de dollars, soit plus de 90 % du montant total des prêts identifiés comme RBL.
 
NRGI et d’autres organisations ont fréquemment critiqué l’opacité des opérations RBL. Lors de notre étude, nous ne disposions pas de toutes les informations essentielles, telles que le taux d’intérêt, de 33 contrats sur les 52 étudiés, et un seul document de prêt était accessible : le prêt de Sicomines signé en 2011 par la République démocratique du Congo (RDC). Cependant, depuis la publication de notre rapport il y a un an, des signes de progrès vers la transparence sont visibles.
 
Au début du mois, AidData a rendu accessible un nombre important d’accords de prêt entre des entités chinoises et des emprunteurs souverains de pays en développement. Les chercheurs ont examiné en détail les systèmes de gestion des informations sur les dettes, les registres officiels et les gazettes, et les sites Internet parlementaires et ont trouvé 100 accords de prêt avec des entités chinoises mis à la disposition du public dans 24 pays. La base de données AidData, ainsi que le rapport connexe intitulé « How China Lends » comparant les conditions avec d’autres accords de prêt, confirment et élargissent notre compréhension des accords de dette souveraine impliquant des prêteurs publics chinois.


L'usine de gaz d'Atuabo au Ghana, un projet financé par des prêts garantis par les ressources naturelles.

L’une des principales conclusions du rapport d’AidData est l’utilisation courante de clauses de confidentialité de grande portée dans les accords avec les prêteurs chinois qui limitent la divulgation des informations sur les prêts par les emprunteurs, ce qui confirme les inquiétudes quant à l’opacité et le besoin de limiter les dispositions de confidentialité des accords de dette souveraine, tel que souligné précédemment. Cependant, le fait qu’un nombre important d’accords avec les prêteurs chinois était accessible au public malgré ces dispositions de confidentialité pourrait aider à identifier les leviers pour promouvoir la transparence. Une piste prometteuse consiste à s’appuyer sur les lois et procédures des pays emprunteurs exigeant une ratification parlementaire et/ou une divulgation des accords de dette souveraine. Les exceptions à la confidentialité, lorsque la loi exige une divulgation, sont relativement communes, ce qui explique probablement les pratiques actuelles de divulgation et notamment la présence dans la base de données AidData de nombreux accords malgré les clauses de confidentialité. 
 
Outre le prêt de Sicomines, la base de données AidData comprend les contrats de cinq RBL supplémentaires : trois avec le gouvernement équatorien, un avec le gouvernement ghanéen et un avec PDVSA et BANDES, des entreprises publiques du Venezuela. Tous ces accords ont été identifiés dans le rapport 2020 de NRGI sur les RBL, et les principales conditions (montants de prêts, intérêt et échéances) qui y figurent sont identiques ou très similaires à celles que révèlent les contrats. (Nous avons l’intention de mettre à jour les données de notre rapport en fonction des renseignements tirés d’AidData en ajoutant de nouveaux détails tels que les périodes de grâce).
 
Avoir accès aux contrats nous permet de mieux comprendre certains compléments d’informations essentiels concernant ces prêts. Prenons l’exemple de l’emprunt en 2018 du Ghana auprès de Sinohydro, une entreprise publique chinoise. Alors que nous, ainsi que d’autres organisations, avions fait état d’un montant d’emprunt de 2 milliards de dollars, l’accord publié révèle en fait que les prêteurs chinois ont accordé 1,7 milliard de dollars, et que le gouvernement ghanéen a mobilisé 300 millions de dollars par ailleurs. L’accord précise également que le gouvernement ghanéen a utilisé ses revenus de bauxite comme garantie, et que cette approche s’inscrit dans les modèles plus généraux de garantie des prêts tels que décrits dans le rapport d’AidData, qui incluent l’obligation d’ouvrir un compte bancaire auprès du prêteur recevant des revenus qui peuvent être saisis en cas de non-paiement. Dans le cas du Ghana, l’accord spécifie que les revenus de bauxite doivent être conservés sur un compte séquestre à l’étranger et que le gouvernement a signé une convention d’entiercement (escrow account agreement) avec le créancier Sinohydro.

Source : Master Project Support Agreement (en français, Accord de soutien du projet principal)

La divulgation des accords de prêt peut également être utile aux pays comme la Guinée qui ont contracté des prêts adossés aux ressources minières avec des prêteurs chinois, mais dont les accords de prêt ne sont pas encore divulgués. En 2017, le gouvernement guinéen a signé un accord-cadre pour une ligne de crédit de 20 milliards de dollars avec la Chine ouvrant des opportunités de prêts adossés aux recettes issues de la bauxite avec des prêteurs chinois. Les informations sur la ligne de crédit étaient limitées, mais grâce au dernier rapport de l’Initiative pour la Transparence dans les Industries Extractives (ITIE) de la Guinée, nous disposons désormais des paramètres principaux des prêts adossés aux ressources qui en ont découlé en 2018. Ces paramètres sont largement conformes à la Note d’orientation de l’ITIE sur les accords de troc. Les organisations de la société civile guinéenne et l’ITIE Guinée ont joué un rôle déterminant pour parvenir à cette divulgation. Un défi perdure : l’accès aux contrats de prêt et d’infrastructures eux-mêmes qui dévoileraient les engagements détaillés entre le gouvernement et ses partenaires chinois. Cela permettrait aux acteurs Guinéens qui assurent le contrôle et la veille d’effectuer une évaluation complète des risques, à la fois quant à la capacité du gouvernement à rembourser les emprunts existants et quant à la recommandation ou non d’obtenir des prêts supplémentaires sur la ligne de crédit, étant donné le contexte économique incertain.
 
Le besoin de transparence sur les prêts et les dispositifs financiers impliquant les ressources naturelles ne se limitent pas aux prêts auprès d’acteurs chinois. Les RBL auprès des entreprises de négoce de matières premières sont souvent encore plus opaques que ceux des prêteurs chinois et ont parfois déstabilisé les économies des pays emprunteurs. La transparence est également essentielle dans le contexte des gouvernements qui utilisent des approches de plus en plus créatives pour obtenir un financement en tirant profit de leurs ressources naturelles, comme l’ont montré les récents événements en RDC et au Ghana. L’engagement de la RDC de divulguer des contrats miniers et celui de la société civile d’effectuer un suivi de ces divulgations ont entraîné récemment la publication de l'un de ces contrats. En 2017, la Gécamines, géant minier public du pays, a cédé ses futures redevances minières issues du projet d’extraction de cobalt et de cuivre de Metalkol à Multree Limited, une entreprise liée à Dan Gertler, qui a fait l’objet de sanctions américaines dans le cadre d’allégations de corruption. Bien que certains aspects du contrat ne soient pas clairs, il semble que la Gécamines ait échangé ses futures redevances contre un paiement initial de 55 millions de dollars et la reprise par Multree d’une dette de 28 millions de dollars de la Gécamines auprès de Metalkol. Au Ghana, le gouvernement a récemment confirmé qu’il allait relancer son projet controversé de cession d’une partie de ses futures redevances aurifères à des investisseurs privés par le biais d’une cotation en bourse.
 
Alors que de nombreux pays en développement sont de plus en plus endettés, une transparence accrue sur les prêts avec des acteurs chinois et en particulier les financements adossés à des ressources naturelles est de la plus haute importance. L’accès aux informations sur les précédents accords permettra aux pays emprunteurs qui recherchent de nouveaux financements ou qui envisagent une renégociation de leur dette de mieux les structurer et d’obtenir des conditions plus favorables. D’autres prêteurs pourront également s’en inspirer pour accorder des financements à des conditions plus viables. La transparence sur les dettes souveraines est également essentielle pour les organisations de la société civile et d’autres acteurs qui assurent le contrôle et la veille. D’après les auteurs du rapport « How China Lends » :

La divulgation de tous les contrats de dette, aussi difficile soit-elle sur le plan politique, doit devenir la norme plutôt que l’exception. Elle permettrait aux citoyens de demander des comptes aux gouvernements au sujet des contrats de dette signés en leur nom. La dette publique doit être publique.

La divulgation des accords de prêt souverains représente une progression naturelle après la publication des contrats pétroliers, gaziers et miniers qui s’est visiblement renforcée au cours des dernières années.  En 2009, les gouvernements et les entreprises ont exprimé leur scepticisme quant à la publication de ces documents, mais un peu plus de 10 ans plus tard, au moins 49 pays ont officiellement divulgué des contrats et plus de 20 entreprises soutiennent publiquement cette pratique. La transparence relative aux contrats du secteur extractif est désormais une norme mondiale bien établie soutenue par le FMI et requise par l’ITIE.
 
Étant donné la similarité des questions d’intérêt public concernant la gestion de la dette publique et la gouvernance des richesses naturelles, les acteurs engagés dans le renforcement de la transparence sur la dette souveraine devraient capitaliser sur ces acquis. Les RBL sont particulièrement importants, car ils sont à l’intersection entre la transparence des industries extractives et la transparence sur les dettes. Le mouvement vers une transparence accrue sur la dette souveraine s’accélère, ce qui ne peut que contribuer à une meilleure gouvernance des ressources naturelles.

Hervé Lado est reponsable pour la Guinée au Natural Resource Governance Institute (NRGI) en Guinée. David Mihalyi est analyste économique senior à NRGI. Amir Shafaie est directeur des programmes juridiques et économiques à NRGI.

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