Guinée : la difficile question des prix de transfert dans le secteur minier
La Guinée compte depuis des décennies sur son potentiel minier pour stimuler un développement économique durable. Des mines telles que la Compagnie des Bauxites de Guinée opèrent depuis les années 1970 selon un schéma de partenariat public-privé, mais peu d’investissements concrets ont vu le jour suite à une libéralisation du secteur sous le régime du code minier de 1995. Aujourd’hui, avec un nouveau code minier, un meilleur environnement des affaires et surtout l’explosion de la demande de bauxite par les alumineries chinoises, les investissements affluent.
Les nouvelles mines qui s’ouvrent en Guinée sont opérées par des filiales des principaux producteurs d’alumine et d’aluminium. Depuis les années 1970, les structures des multinationales se sont complexifiées : un groupe minier possède désormais plusieurs dizaines de filiales, certaines localisées dans des paradis fiscaux. Toutes ces filiales entretiennent des relations commerciales, notamment pour la vente de minerais, les prêts intragroupes, la sous-traitance de services techniques, la fourniture d’explosifs et de carburant. Les prix fixés dans ces transactions sont appelés des prix de transfert. En l’absence d’un contrôle rigoureux, les sociétés minières peuvent ainsi manipuler les prix de transfert afin de réduire leur assiette d’imposition en Guinée, pour réaliser davantage de profits dans des pays où les taux d’imposition sont plus faibles.
Les règles sur les prix de transfert sont basées sur le principe de pleine concurrence; elles ont été développées essentiellement par les pays de l’OCDE, et ont connu un coup d’accélération ces dernières années avec l’initiative BEPS contre l'érosion de la base d'imposition et le transfert de bénéfices. NRGI a mené une étude dans cinq pays miniers en Afrique (Ghana, Tanzanie, Zambie, Sierra Leone et Guinée) afin de comprendre comment ces règles étaient appliquées dans des contextes différents de ceux pour lesquelles elles avaient été créées. Les défis sont immenses.
NRGI a présenté le rapport final et l’étude de cas de la Guinée aux représentants de l’Etat et à des membres de la société civile guinéenne le mois dernier. Les recommandations contenues dans l’étude ont été bien accueillies par les différents acteurs, en particulier la nécessité de mettre à jour le code des impôts et ses textes d’application, demander aux sociétés minières de remplir un formulaire annuel sur leurs transactions intragroupes, renforcer la coordination entre la Direction Nationale des Impôts et le Ministère des Mines et de la Géologie, améliorer l’accès à l’information et renforcer les capacités des inspecteurs des impôts en matière de prix de transfert.
(Vous pouvez suivre le reportage de l’évènement sur Espace TV, ou lire les articles de Guineeline, Horoya, Guinee7, lejourguinee.)
Le Ministère des Mines et de la Géologie, le Ministère des Finances et le Ministère du Budget ont constitué un groupe de travail sur la sécurisation des recettes minières. Cette « task force » pourrait être un instrument clef dans le contrôle par l’Etat guinéen de la pratique des prix de transfert par les sociétés minières. De son côté, l’ONG Action Mines compte s’assurer de la prise en compte de cette problématique par les agences de l’Etat et au sein du groupe multipartite de l’Initiative de Transparence pour les Industries Extractives.
Thomas Lassourd est analyste économique senior pour le Natural Resource Governance Institute (NRGI). Marie-Joséphine Nsengiyumva est analyste économique pour NRGI, détachée en appui au Ministère des Mines et de la Géologie de la République de Guinée.