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Guinée : évaluation actualisée de l’impact de la pandémie de coronavirus sur le secteur extractif et la gouvernance des ressources

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Ce document fait partie d’une série d’analyses par pays produites par NRGI pour résumer la situation en ce qui concerne la pandémie et ses impacts économiques. L’analyse qu’il contient est susceptible de changer en fonction de l’évolution de cette situation et sera mise à jour en temps utile.
 

Messages clés

  • Soutenue par un secteur minier dynamique, l’économie guinéenne a fait preuve d’une résilience inattendue face à la pandémie de coronavirus.
  • Le FMI anticipe que la croissance économique et le niveau d’endettement de la Guinée resteront stables. Toutefois, le gouvernement doit se préparer à des demandes de soutien des entreprises et se prémunir du « nivellement par le bas ».
  • Le gouvernement a été bien inspiré d’accroître la transparence sur ses prêts adossés aux ressources, et pourrait envisager des renégociations avec la Chine.
  • Le gouvernement guinéen devrait envisager de lisser sur plusieurs années les dépenses importantes actuelles issues des fonds miniers de développement local.
  • Le code minier guinéen contient de solides dispositions en matière de transparence et de redevabilité, mais la pandémie et d’autres crises sont susceptibles d’altérer le rôle des acteurs de la société civile et les performances de la Guinée dans la gouvernance minière.

Aperçu de l’impact économique de la pandémie de coronavirus

Soutenue par un secteur minier dynamique, l’économie guinéenne a fait preuve d’une résilience inattendue face à la pandémie de coronavirus. Toutefois, malgré l’augmentation continue des exportations minières en 2020 -comme au cours des cinq dernières années-, les revenus du gouvernement et des entreprises n’ont pas reflété cette croissance, notamment en raison de la baisse des prix de la bauxite. En outre, le secteur non minier a été considérablement touché par la pandémie et les restrictions de déplacements qui en découlent. D’après les cinquième et sixième revues de la Guinée menées par le Fonds monétaire international (FMI), et publiées en décembre 2020, la croissance du produit intérieur brut (PIB) réel atteindrait 5,2 % en 2020 (contre 2,9 % estimée en avril 2020), mais l’activité non minière progresserait uniquement de 2,4 %, soit environ la moitié des prévisions avant la pandémie. Le FMI prévoit un maintien de la progression du PIB réel à 5,5 % en 2021 et à 5,2 % en 2022, toujours soutenu par le secteur minier.

Le plan de réponse du gouvernement au coronavirus, estimé à 1,8% du PIB (env. 275 millions USD), a été soutenu par la Banque centrale guinéenne (BCRG), la Banque mondiale, la Banque africaine de développement, l’Union européenne et le FMI. Depuis 2017, le pays bénéficie d’une facilité élargie de crédit (FEC) du FMI à hauteur de 170 millions USD sur trois ans. Cet appui a permis au pays de gérer plus durablement ses finances publiques, notamment sa dette. Le 9 décembre 2020, la Guinée en a reçu le dernier versement, de 49 millions USD. Le gouvernement s'est engagé à accélérer la mise en œuvre de sa stratégie de mobilisation des recettes, notamment l'application intégrale du code minier, afin que la Guinée puisse dûment bénéficier de ses richesses minières. Au moment de la rédaction de la présente note, le renouvellement de la FEC n’était pas à l’ordre du jour. La Guinée a également bénéficié d'un soutien de 22,3 millions USD de la part du Fonds fiduciaire d'assistance et de riposte aux catastrophes du FMI en avril 2020, et le Conseil d'administration du FMI a approuvé une facilité de crédit rapide de 148 millions USD en juillet 2020 pour répondre aux besoins urgents de financement de la balance des paiements et du déficit de recettes publiques découlant de la pandémie. Ces appuis permettent notamment d'augmenter les dépenses relatives à la santé, de protéger les personnes les plus vulnérables à la crise, et de soutenir le secteur privé.

Selon les estimations du FMI, la dette publique atteindra 43,2 % du PIB en 2021 et se stabilisera à 40,4 % en 2025. Une réduction significative des revenus miniers de la Guinée peut toutefois avoir une incidence sur cette prévision. Dans l’ensemble, la Guinée compte sur des emprunts concessionnels, car le pays dispose d’une faible capacité à s’endetter davantage (le FMI et la Banque mondiale recommandent de ne pas dépasser le ratio dette publique/PIB actuel). Les réserves de change de la Banque centrale sont limitées (trois à quatre mois d’importations), soulignant la vulnérabilité à toute baisse significative des exportations (d’après les données de l’Initiative pour la Transparence dans les Industries Extractives (ITIE), le secteur minier représente 79 % des exportations). Par ailleurs, les ministres en lien direct avec le secteur minier (Mines et Géologie, Budget, Administration du territoire et Décentralisation, Économie et Finances) ont conservé leur portefeuille à la suite du remaniement du gouvernement de janvier 2021.

Impact sur le secteur minier

Le secteur guinéen de la bauxite est habituellement très rentable, car le processus de production est peu complexe et sa teneur en minerai est l’une des plus élevées au monde (jusqu’à 49 % contre les 40 % standard). Les principaux coûts de production sont liés au transport depuis les sites miniers jusqu’aux ports, et jusqu’à présent, la pandémie de coronavirus n’a pas significativement affecté cette chaîne de valeur dans le pays. Les statistiques publiées en février 2021 par le ministère des Mines et de la Géologie pour l’année 2020 confirment que les exportations de bauxite ont continué d’augmenter. Le taux de croissance (24 %) s’est avéré même plus élevé qu’en 2019 (14 %) et 2018 (19 %). Les exportations d’or ont quant à elles bondi de 233 % en 2020, en raison de l’envolée des exportations d’or artisanal (plus 465 %) résultant probablement des restrictions de déplacements (induites par la pandémie et les élections) qui ont réorienté les flux de l’or artisanal vers des canaux plus formels.

Dans le cadre de l’engagement du gouvernement pour la diversification des produits miniers, la Guinée a signé en juin 2020 un accord avec SMB Winning portant sur les blocs 1 et 2 du gisement de fer de Simandou, et a accueilli de nouveaux acteurs dans la production industrielle de l’or, notamment Hummingbird et Sycamore Mining. Le ministère des Mines prévoit un maintien de la croissance de la production de bauxite, qui continuera à nourrir les ambitions de la Guinée de devenir le premier producteur mondial d’ici quelques années. Toutefois, l’assouplissement des restrictions des déplacements au quatrième trimestre de 2020 a entraîné une baisse des exportations d’or, ce qui est susceptible d’altérer les performances exceptionnelles observées depuis le début de la pandémie. La tendance à la baisse du prix de l’aluminium (moins 7 % en 2020 par rapport à 2019) continuera probablement à affecter les prix, puis peut-être la demande de bauxite. Si ce scénario venait à se confirmer en 2021, un ralentissement de la production et des exportations de bauxite guinéenne serait à redouter, ainsi que le risque qu’une partie des 13 539 personnes directement employées dans le secteur se retrouve au chômage.

Deux facteurs sont susceptibles d’atténuer les effets de la baisse des prix et de la demande de bauxite sur les recettes publiques en cas de persistance de la pandémie : le maintien de la reprise de l’activité économique en Chine (principal client de la Guinée) ; et le maintien de la tendance à la hausse du prix de l’or (plus 28 % en 2020 par rapport à 2019), associé à des niveaux exceptionnels d’exportation d’or guinéen.

Impact sur les recettes de l’Etat

Les recettes minières représentent 31 % des recettes publiques (selon le rapport ITIE de 2018), et la bauxite correspond à 62 % des recettes minières contre 22 % pour l’or. La vulnérabilité de la Guinée à une baisse des revenus provenant de la bauxite est aggravée par les répercussions de la crise liée au coronavirus sur d’autres secteurs de l’économie. En septembre 2020, le ministère guinéen du Budget avait perçu seulement 61 % des recettes minières attendues et, en mars 2021, les médias faisaient état de la détresse financière présumée de certaines sociétés minières en raison de la baisse des prix de la bauxite. Cependant, le secteur privé minier n’a pas encore ouvertement présenté de demande de soutien de l’Etat ou de modification des conditions d’investissement. À l’occasion de l’Assemblée générale ordinaire de la Chambre des Mines du 13 décembre 2020, le ministre des Mines a salué la résilience des entreprises minières et les efforts exceptionnels qu’elles ont déployés pour préserver la santé de leurs employés, et pour soutenir les efforts des communautés et du gouvernement. Cependant, une détérioration de la situation financière des entreprises conduirait ces dernières probablement à solliciter des incitations fiscales ou un assouplissement des normes applicables au secteur. Elles pourraient également se résoudre à réduire ou suspendre unilatéralement leur production, mettant ainsi en péril les recettes publiques et les emplois.

Par ailleurs, les revenus miniers alloués aux municipalités représentent moins de 5 % de l’ensemble des revenus du secteur. Cependant, depuis l’entrée en vigueur en 2019 des dispositions du code minier 2011/2013 relatives aux fonds miniers de développement local (Fonds de développement économique local (FODEL) et Fonds national de développement local (FNDL)), ces paiements et transferts infranationaux ont considérablement augmenté. Selon les données officielles, en 2020, les entreprises ont versé 199 milliards GNF (20 millions USD) aux municipalités minières dans le cadre du FODEL. Pour le FNDL, le gouvernement a transféré 225 milliards GNF (22 millions USD) à l’ensemble des municipalités. Une réduction de l’activité minière affecterait ces fonds, avec un décalage d’un an. En effet, le FODEL dépend du chiffre d’affaires des sociétés minières, et le FNDL de la quantité de matériaux que les mines produisent et exportent ainsi que du prix de l’aluminium. Dans les deux cas, les paiements sont effectués aux municipalités l’année suivante. En outre, les montants annuels transférés au titre du FNDL (prévision de 362 milliards GNF pour 2021) apparaissent particulièrement élevés par rapport aux estimations fondées sur l’article 165 du code minier qui énonce la formule de calcul. Ce constat suggère que la Guinée pourrait être en train de budgétiser au-delà des provisions réelles du FNDL, ce qui pourrait mettre le gouvernement dans l’incapacité de répondre aux attentes des collectivités locales à l’avenir, surtout si les effets de la crise sanitaire devaient se prolonger.

Un autre facteur susceptible d’altérer les recettes futures concerne la ligne de crédit de 20 milliards USD sur 20 ans que la Guinée a contractée auprès de la Chine en 2017. Le gouvernement a divulgué des informations sur les deux prêts adossés aux ressources déjà tirés en 2018 de cette ligne. Ces deux prêts, d’un montant respectif de 329 millions EUR et de 186 millions EUR, sont assortis d’une période de grâce de quatre ans. Le remboursement qui s’appuie sur les redevances provenant de la production de trois sociétés minières chinoises est donc censé commencer en 2022, date de livraison des infrastructures que ces prêts ont servi à financer (à noter que les infrastructures sont réalisées par d’autres entreprises chinoises). En raison du ralentissement de ces travaux d’infrastructures à la suite des restrictions de déplacements, ainsi que des répercussions de la pandémie sur les recettes minières publiques, il est peu probable que le plan de remboursement soit respecté.

Impact sur la gouvernance des ressources minières

Le gouvernement s’est toujours engagé à respecter le code minier. La Guinée intéresse les investisseurs en raison de ses réserves exceptionnelles en bauxite, en fer et en ressources stratégiques comme le graphite, de la haute teneur de ses matériaux, ainsi que de son code minier de 2011/2013. Par conséquent, le gouvernement est normalement peu enclin à accorder des dérogations aux investisseurs, sauf lorsqu’il s’agit de projets intégrés comprenant notamment infrastructures et raffineries. En outre, le soutien du FMI à la Guinée repose sur l’hypothèse que le gouvernement se conforme aux dispositions du code minier.

La pandémie de coronavirus et, depuis février 2021, la crise Ebola, qui suit de près la crise électorale en Guinée, risquent de pousser le gouvernement à se concentrer sur les défis urgents et immédiats, laissant peu de place au plaidoyer de la société civile en vue de la transparence et de la redevabilité. Après un bref répit entre septembre 2020 et février 2021, les acteurs de la société civile sont à nouveau, comme d’autres acteurs et comme dans d’autres pays, soumis à des restrictions de mouvements et des mesures de distanciation sociale qui affectent directement leurs activités habituelles de consultations, de formation et de plaidoyer.

La pandémie peut également avoir des répercussions sur la mise en œuvre de l’ITIE par la Guinée, une norme mondiale veillant à la bonne gouvernance des ressources pétrolières, gazières et minières. En juillet 2020, la société civile du secteur minier a adopté un nouveau code de conduite qui réduit les conflits d’intérêts, et renforce la redevabilité des organisations de la société civile elles-mêmes, ainsi que la participation des femmes et des jeunes au processus ITIE en Guinée. Pour la première fois, ces organisations ont désigné librement leurs nouveaux représentants en septembre 2020 au sein de l’ITIE Guinée en vue d’un mandat de trois ans, en application du nouveau code de conduite. Ces nouveaux représentants ont pour ambition de contribuer à engager le processus ITIE en Guinée dans un rôle plus réformateur et plus efficace. Le gouvernement a publié le rapport ITIE 2018 en décembre 2020, avec un retard de six mois par rapport à son calendrier habituel. Ce rapport, qui porte sur les paiements reçus des entreprises minières en 2018, contient des enseignements intéressants sur l’état de la gouvernance minière en 2020. L’évaluation par l’ITIE (dite Validation) de la Guinée, qui devait commencer en août 2020, a été reportée deux fois, et est à présent prévue pour juillet 2021. Les concertations régulières du groupe multipartite de l’ITIE Guinée ont repris depuis janvier 2021, et l’élaboration du rapport ITIE 2019 constitue l’un des défis auxquels le groupe est déjà confronté. Enfin, en 2020, le gouvernement a adopté le décret d’application de la loi de 2017 sur la corruption relative au régime de déclaration des actifs des hauts fonctionnaires et à la protection des dénonciateurs et victimes, une des exigences du programme du pays avec le FMI.

Perspectives d’avenir

Les activités du secteur minier en Guinée n’ont pratiquement pas été troublées en 2020, mais, compte tenu de la baisse des prix de la bauxite, la situation est différente en ce qui concerne les recettes publiques et la situation financière des entreprises. Les campagnes de vaccination en Guinée, y compris contre Ebola, sont en cours, mais les effets de la pandémie pourraient persister. Cette situation, associée à un ralentissement potentiel de l’économie mondiale, notamment en Chine, est une menace pour le secteur minier guinéen.

Alors que les effets de la pandémie de coronavirus se répercutent sur l’économie guinéenne, le gouvernement pourrait envisager diverses mesures dans le secteur minier. Une plus grande transparence au cours de cette période reste nécessaire pour permettre à toutes les parties prenantes de mieux comprendre et soutenir les réponses du gouvernement aux impacts de la pandémie sur le secteur minier. Alors que quelques sociétés minières présentent des signes de détresse financière, le gouvernement devra être attentif à divers risques, notamment celui d’un « nivellement par le bas », lorsqu’il fera face à demandes de soutien des entreprises et à d’éventuelles décisions de réduire ou de suspendre la production.

Le gouvernement pourrait envisager une revue de ses deux prêts adossés aux ressources. Grâce à la publication des conditions de ces accords en 2020, le gouvernement a créé les conditions pour que l’ensemble des parties prenantes contribue utilement à la réflexion et au débat. Une telle révision peut être justifiée au regard des retards attendus dans la livraison des infrastructures, du risque de baisse des revenus miniers, et du fait que la Chine envisage de rééchelonner la dette de divers pays en réponse aux effets de la pandémie.

Le gouvernement doit également anticiper l’impact négatif sur les paiements et transferts infranationaux sur les fonds miniers de développement local FODEL et FNDL. Il peut envisager d’ajuster les dépenses des recettes minières en amorçant des négociations avec les municipalités et en indiquant clairement que les allocations sont susceptibles de diminuer considérablement à partir de 2022. L’identification de solutions structurelles au risque de dépendance des municipalités guinéennes vis-à-vis des revenus miniers constitue un enjeu majeur, et le gouvernement pourrait davantage affiner et communiquer sur ses plans. Ces plans relatifs aux municipalités peuvent inclure des mesures de discipline budgétaire, des incitations à collecter davantage de revenus non miniers et l’orientation de l’assistance technique aux communes vers la multiplication de projets générateurs de revenus dans d’autres secteurs afin de diversifier l’économie nationale à partir des communes, et de renforcer la résilience d’une population que la pandémie a rendue économiquement plus vulnérable.

Enfin, pour préserver les acquis de la Guinée en matière de gouvernance minière, le gouvernement peut rendre les processus de bonne gouvernance plus résilients. Par exemple, il pourrait étudier la création de forums innovants en ligne en vue de la communication et de la consultation périodique avec les parties prenantes du secteur minier. Il pourrait également étendre la digitalisation de l’administration minière en mettant à jour les sites Web officiels et en fournissant des informations en temps réel sur l’activité minière et les réponses du gouvernement, comme le recommande l’ITIE  avec les mécanismes flexibles de déclarations, en adaptation à la pandémie.

Hervé Lado est le responsable pays pour Natural Resource Governance Institute en Guinée.

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